Chapitre 4. Le Fond du gouffre.
Enfermé dans son enfer personnel, Notre héros pourra t'il s'extirper d'une situation devenant de plus en plus suffocante?
ENTRE RÉALITÉ ET FICTION
Sébastien Hervé
12/21/20238 min read



Berlin, le 13 Octobre 2006 – 10:00
Mes yeux commencent à retrouver leur brun naturel, à mesure que Kayla utilise sur moi ses techniques de relaxation. Elle nous fait son numéro de guérisseuse à la sauvette, dans un coin de rue. Au calme ! Le plus drôle c’est qu’elle arrive à me calmer sans aucun contact corporel. Seul son psyché a réussi à atténuer un peu mes symptômes. A croire qu’elle n’en est pas à son coup d’essai.« Voilà ! » me dit-elle fière de son travail. Je me hâte de retourner vers la vitrine qui m’avait montré ce reflet « glacial » que je renvoyais quelques minutes plus tôt. Mes yeux se sont apaisés, mais pour combien de temps.
– Tu devrais être tranquille quelques jours. En revanche, essaye d’éviter un peu les contrariétés », me dit Kayla sur un ton maternel.
– Tu pourrais m’expliquer ce qui m’est arrivé plus tôt, lui répond-je instantanément.
Sans rien dire, elle me glisse un papier dans la main et esquisse un sourire. Ceci étant fait, elle me tourne le dos et disparaît. Je m’empresse de lire ce petit « papyrus » qu’elle ma gracieusement donné pour y découvrir un adresse et une heure précise : 22H30, Stormstraße 8, Blankenfelde-Mahlow. C’est à l’autre bout de la ville. On quitte même Berlin. Qu’est ce que je vais bien aller foutre là bas ?
Berlin, le 13 Octobre 2006 – 23:00
« Et Merde !! » Je suis encore résigné. Ma journée commence, comme d’habitude en milieu de soirée. A peine ai-je les yeux ouverts que je réalise déjà que ce soir ce n’était pas trop la bonne soirée pour faire un cure de sommeil tardive. Je devais retrouver Kayla à l’adresse indiquée il y’a déjà une demi-heure. En vérifiant mes messages sur mon téléphone, je me rends compte que la chipie est passablement énervée. Je peux noter des perles comme « l’épave à t’elle réussi à s’amarrer ? », « Continue à végéter, après tout c’est pas comme si on avait quelque chose d’important à faire ce soir », ou encore (ma préférée), « continue à dormir indéfiniment. Fais ta rock-star. Après tout j’adoreeee attendre les gens ».
Je pense que je l’ai mis en rogne. D’un autre côté, je n’étais déjà pas très chaud pour rencontrer sa secte de super-héros en devenir. Pas étonnant que mon corps ait du mal a se discipliner. Je ne peux pas non plus lui reprocher mes errances inhérentes à mon état actuel. Un état déplorable et dont je suis le seul responsable. Je pense que Stefanie est rentrée. Je l’entends discuter dans le salon avec une autre personne. Étant à peine réveillé, j’ai du mal à discerner à qui elle s’adresse. Mais il ne me faut pas beaucoup de temps pour comprendre que Kayla n’a besoin que de quelques secondes pour se déplacer d’un bout à l’autre de la ville. Je me sens hésitant, à mesure que je descends fébrilement les marches de l’escalier pour me diriger vers la zone de conflit. Après tout, je ne peux pas éviter mon destin comme elle dit. Étant donné ses « dons », j’espère qu’elle ne sera pas trop punitive avec moi. J’entre timidement dans le salon en espérant ne pas passer un sale quart d’heure. Mais la tête de notre protagoniste sauveuse de train me fait comprendre qu’il va falloir pointer.
Berlin, Le 13 Octobre 2006 – 23H30
Je reprends mon calme après une explication « houleuse » avec Kayla. Tout ça sous les yeux ébahis d’ Annika qui ne comprend rien à tout ce charabia. Les mots codés qu’utilisent ma « pseudo » mentor ont plutôt tendance à la déstabiliser. Elle ne veut pas la mettre dans la confidence après tout.
« Je vais vous laisser terminer votre discussion tranquillement… Si on me cherche, je vais boire un verre avec Olivier au QG habituel.», nous dit Annika, espérant qu’un nouveau face à face sans elle arrangera un peu les choses. Kayla lui esquisse un sourire bienveillant.Alors que son regard se tourne à nouveau vers moi, je décide de lui épargner sa salive.
– Kayla, on va faire court ! Je n’ai pas besoin de ce ton accusateur, je n’ai pas besoin non plus de tes leçons de morale sur mon mode de vie destructeur. J’ai tout à fait conscience du merdier dans lequel je suis fourré. Mais je n’ai pas besoin de ton avis ou de tes remarques. Je pense que j’ai surtout besoin de partir une semaine dans ma ville natale, à Rostock. J’ai des choses à mettre au point . Je te demande de ne pas me contacter.
-Et l’université ? Me rétorque Kayla, passée maître pour me mettre des bâtons dans les roues.
– Comme tu dis, c’est l’université…Je n’ai pas d’examens ni de projets particuliers en cours. Je pense que l’université pourra survivre sans moi, lui répond-je d’un ton sarcastique. J’ai conscience qu’il est important que je maîtrise mes supposés « dons » pour pouvoir vivre sereinement, pour apporter ma pierre à l’édifice. Mais c’est justement à cause de cet état que je ne peux pas être crédible en ce moment. J’ai besoin de savoir où j’en suis. Je ressens le besoin d’avoir certaines réponses par rapport à des choses que tu connais pas.
Je m’imaginais déjà Kayla entrain de contre-attaquer en détruisant par ses mots à l’arsenic, mon escapade « psy » dans le nord de l’Allemagne. Rien de tout cela.
– J’ai peut-être été trop dure avec toi, me répond-elle contre toute attente. Je me rend compte que, peu importe les raisons, brusquer une âme perturbée ne peut créer que des complications. Je ne connais pas ton passé, ni les raisons de ton mal être actuel. Mais si tu penses que ce petit séjour te fera du bien, je ne t’importunerai pas. On prend les choses en main pendant ton absence, ne t’inquiète pas.
– C’est qui ce « on », lui dis-je l’air un peu perdu ?
– Tu aurais pu le savoir dès ce soir. Ca y-est, elle recommence avec ses petits pics. Mais ne t’inquiète pas, chaque chose en son temps. Tu as raison, tu as besoin de digérer toutes ces choses. Tu as un bon fond et j’espère que tu retrouveras un peu le sourire à ton retour,conclut-elle sur un sourire.
Elle finit par s’éclipser en quittant l’appartement et en me laissant face à mes responsabilités. Je ne m’attendais pas au final à tant de compréhension de sa part. Je l’ai peut-être mal jugée. En attendant, j’ai quelques bagages à préparer. Je partirai dès demain matin. Espérons que ce périple saura atténuer mes pensées négatives et mon refus d’assumer ma propre vie.
Berlin, Le 14 Octobre 2006 – 09H30
<<Tim, Tim !>> me vocifère Olivier que j’entends au loin depuis l’autre bout de la gare centrale de Berlin.
C’est un sacré comité d’accueil que j’ai ce matin. En passant outre l’envie de mon comparse de beuverie de s’illustrer au milieu d’une foule plutôt dense en cette journée de forte affluence, je constate que mon cher colocataire n’est pas venu seul. Annika est aussi de la partie, talonnée par Haruka (que je connais à peine). Et pour les succéder, on a une Kayla protectrice qui ferme la marche. Comme une mère avec ses petits, elle les entoure de son halo protecteur. Même en civil, elle ne peut pas s’empêcher de se sentir investie d’une mission, me dis-je pour moi même. Au moins, elle a le mérite de me laisser esquisser un léger sourire désabusé. Ma marque de fabrique! Une heure plus tôt, j’ai appris que mon train vers Rostock avait été annulé à cause d’un dysfonctionnement technique. A croire que les soucis ferroviaires s’intensifient depuis le récent incident dont j’ai été témoin l’autre soir.
<<こんにちはティモさん、あなたは今朝疲れ果てているように見えます>> me dit Haruka avec toute la compassion qu’on lui connait.
(Non, tu crois? me dis-je pour moi même). Ayant dormi à peine deux heures avant de plier bagage, j’avoue que notre chère petite nipponne n’a pas eu besoin de faire un long diagnostic de mon état de santé matinal.
-Pourquoi êtes vous tous là? Vous n’avez pas d’impératifs ce matin? leur dis-je l’air surpris.
-Olivier est en recherche d’emploi depuis son arrivée en Europe. Annika ne travaille jamais le matin. tu devrais connaitre l’emploi du temps de tes colocs, me rétorque Kayla qui aime décidément m’infliger ses piqûres de rappel lancinantes.
はるか さん わ? dis-je à Haruka l’air intrigué. Que fait-elle ici?
J’ai appris récemment par Annika qu’Haruka travaillait avec Kayla sur un projet assez louche. C’est vrai que chaque fois que j’ai demandé à miss « violet » ce qu’elle faisait professionnellement par le passé, elle bottait en touche ou se cachait derrière un écran de fumée. Ne voulant pas insister, j’ai préféré occulter ce détail. Cependant, mon esprit encore submergé par les pensées constantes commence à faire le rapprochement. Est-ce que ces deux là ne seraient pas de mèche?
-Timo, on s’inquiète pour toi! me dit Olivier qui me rejoint sur le banc ou je me suis assis, désabusé par une énième punition que me fait subir mon propre Karma.
Nous voilà tous les cinq en direction du café le plus proche pour « tuer le temps » avant l’heure du déjeuner. Je ne le savais pas encore, mais ces quatre personnes allaient devenir un cercle prépondérant dans mon existence. Chacun à notre manière, nous allions nous apporter un soutien indéfectible, contre vents et marées.
Malgré mon côté parfois antipathique, je suis touché par leurs attentions respectives et les remercie pour leur présence. Cet élan de reconnaissance surprend même Kayla qui voit en moi un aspect de ma personnalité insoupçonné jusqu’à présent.
Alors que la première « triplette » composée d’Olivier, Annika et Haruka pénètre dans l’antre de ce petit café assez anonyme perdu dans le dédale de ces rues berlinoises, je décide de prendre Kayla à part.
<< Kayla, je ne sais pas si c’est la providence, le Karma ou tout ce que tu veux… Mais l’annulation de mon train de ce matin me pousse à reconsidérer ta proposition d’hier, lui dis-je l’air résigné.
-Sache que je ne peux pas aller à contre courant de tes volontés personnelles me dit-elle. J’ai fait une erreur en t’intégrant dans un processus qui a l’air de te faire perdre pied. Mais le temps jouant contre nous, et le fait que ton potentiel commence tout juste à se révéler, je me suis senti comme submergé moi aussi par les conséquences d’une temporisation trop excessive face à des choses qui nous dépassent. Toi et moi sommes les clés d’évènements qui pourraient changer la face du monde, en positif comme en négatif. Partant de ce constat, je suis dans la même galère que toi. J’ai eu du mal à le digérer moi aussi. Et la stratégie que j’ai adopté pour t’intégrer là dedans a peut-être été hasardeuse. Tu aimerais plus de réponses, plus de concret. Sache que moi-même je cherche encore un sens à tout ça, me dit-elle en se livrant comme jamais elle ne l’a fait auparavant.
J’arrive à ressentir pour la première fois une forme d’insécurité qui se dégage dans ses mots et sa gestuelle corporelle. A croire que derrière Kayla l’incisive et la provocatrice se cache une personne à taille « humaine » (en contradiction totale avec l’aura violette qui sort de son corps quand elle fait ses cabrioles).Instantanément, je suis pris de compassion envers sa personne.
-Montre-moi! Je me sens prêt! lui dis-je sans prononcer un mot de plus.
Le futur me montrera que ce jour du 14 Octobre 2006 sera pour toujours marqué d’une pierre blanche comme le jour ou j’ai décidé de passer à l’action. Le jour ou j’ai pris mon destin en main. A partir de ce moment, ma vie ne serait désormais plus jamais la même. Elle comme moi savions sans même nous en dire plus que nous allions sauter à pied joints dans l’inconnu. Mais il était important au préalable de pouvoir avancer de manière conjointe, histoire de se prémunir au maximum des conséquences dramatiques d’un manque de préparation.
-Haruka-san 今夜は何をする予定ですか? demande Kayla a sa meilleure amie en lui souriant l’air satisfaite.
Le pouce levé en l’air de notre Japonaise d’adoption est sans équivoque.
